Participer aux Jeux Paralympiques de Paris 2024, ni l’une ni l’autre ne l’avait imaginé il y a encore deux ans. Mais parce qu’au-delà des performances, le sport est avant tout une occasion de vivre des émotions intenses, Anne-Sophie Centis et Élise Delzenne, toutes deux cyclistes de haut niveau, nous ont livré (à Stéphanie Didier et à moi) les coulisses de leur rencontre et l’intensité de leur duo.
Accepter d’être chamboulée
Ça a commencé comme ça.
Par une vidéo visionnée sur laquelle on entend Anne-Sophie Centis évoquer sa vue tronquée, son parcours et son métier de kinésithérapeute au sein du service de réanimation pédiatrique de l’hôpital Jeanne de Flandre à Lille. Très sérieuse et hyper concentrée, son visage s’éclaire soudain lorsqu’elle nous parle d’Élise Delzenne, sa binôme sur le vélo. Alors nous vient la fulgurance qu’au-delà de leurs indéniables performances, quelque chose d’autre est à creuser.
Entre elles, tout a démarré en janvier 2022, lorsque Laurent Thirionet, président de l’équipe de France paracycliste, les contacte l’une après l’autre avec l’envie en filigrane de reconstituer un tandem féminin pour les JO 2024.
Élise, par son passé de sportive de haut niveau, son altruisme et son ouverture sur le monde lui semble être la candidate idéale au rôle de pilote. Anne-Sophie, quant à elle, parce qu’elle témoigne d’une incommensurable résilience, parce qu’elle porte sa détermination en étendard et que le sport a toujours occupé une place de choix au centre de son combat, lui paraît avoir des prédispositions pour devenir une stokeuse de qualité.
Après quelques négociations, avec elle-même pour Élise, avec son conjoint et sa vie déjà bien mouvementée pour Anne-Sophie, la rencontre entre ces deux femmes au parcours exceptionnel se fait. Et c’est, pour ainsi dire, une évidence. De ce genre de rencontre fusion, fluide et simple, légère, extraordinaire.
Très vite, elles se mettent au travail. Sans relâche, elles s’entraînent plusieurs fois par semaine, le jour, la nuit aussi, souvent. Sur piste ou sur route, c’est selon. Toutes deux heureuses et épanouies dans leur vie familiale et professionnelle, elles acceptent de mettre en branle leur équilibre, de chahuter leur quotidien pour s’engouffrer tête baissée dans cette expérience humaine hors du commun. Elles accueillent à bras ouverts cette promesse qui leur est faite de vivre un grand bouleversement.
1 + 1 = 2
Quand on leur demande comment elles s’envisagent, leur réponse est unanime. Notre relation est similaire à celle d’un couple, dit Anne-Sophie. Et lorsque l’on aborde la délicate question de la répartition des forces, lorsque l’on cherche à savoir si les performances de l’une prennent le pas sur les capacités de l’autre, là encore elles répondent d’une seule et unique voix : elles sont deux, un point c’est tout. Et l’une sans l’autre, elles ne sont rien. Elles regrettent d’ailleurs qu’aux yeux des médias et de certains sélectionneurs, la présence et le rôle d’Élise soient trop souvent invisibilisés.
Le fait est que leur relation va bien au-delà de leurs entraînements au sein du vélodrome.
Il y a la confiance, d’abord. Celle qu’Anne-Sophie accorde à Élise en toutes circonstances. Cela semble facile quand on les voit, mais il n’y a pourtant rien d’évident à suspendre au bras de quelqu’un, sa dépendance. Pourtant, avec elle, elle n’a pas peur. Et puis, elle sait que l’expertise de sa binôme est une chance, un véritable atout dans leur incroyable progression. Il y a leur communication, aussi, envers et contre tout. Celle qui raccroche quand l’émotion prend le dessus et qui s’ouvre en parachute lorsqu’elles trébuchent à une poignée de secondes près. Cette envie d’en découdre, enfin, qu’elles partagent et qui leur empoigne le ventre. Comme si ces deux-là descendaient d’une même et longue lignée de guerrières, preuve s’il en est que les Amazones n’ont pas été que fantasmées.
« On en a vécu des choses, ensemble. »
Des victoires, mais aussi quelques défaites, des crises de larmes, des crises de rire, de doute, de froid, de faim et de fatigue. Mais, toujours, à la manière des encordés qui ne peuvent atteindre le sommet sans le soutien et l’assurance de leurs compagnons de fortune, elles ont su s’accrocher l’une à l’autre. Tout comme leurs pédaliers qui, reliés par une chaîne relais, virevoltent à l’unisson, il y a, entre elles, un genre de fil imperceptible, une connexion qui leur permet, dans la folie d’un tourbillon, de rayonner, les mains en bas de leurs guidons.
De ces émotions décuplées que seul le sport à haut niveau peut procurer, elles en tirent de la fierté, de l’euphorie, mais également une très grande humilité.
De la pudeur, de la douceur et une bonne dose de fierté
Leur pudeur est douce à observer, touchante et presque intimidante.
Et même si Anne-Sophie se prête bien volontiers au jeu de la transparence, on sent bien que la coquille qui les torsade ne se laisse pas si facilement amadouer. Jusqu’à ce qu’elles s’essayent à l’exercice, pourtant classique, mais terriblement révélateur, de se décrire mutuellement en nous livrant trois adjectifs.
Trois petits mots de rien du tout qui, aussitôt prononcés, se transforment en raz-de-marée.
Alors la brisure et l’émotion, alors la voix qui flanche et les yeux qui se remplissent.
Prises quelque peu au dépourvu, c’est une véritable déclaration d’admiration qui se joue, ce jour-là, au centre du vélodrome.
Les mots d’Élise déraillent un peu lorsqu’elle évoque l’étourdissant courage, l’enthousiasme et l’intelligence de sa compagne. Les yeux d’Anne-Sophie s’éclairent d’une étincelle presque enfantine et, le sourire large, le sourire grand, elle dépose, à son tour, trois mots d’amour dans les bras de son équipière que, embarquée dans une vie à cent à l’heure, elle a rarement l’occasion de remercier. Elle loue évidemment sa bravoure, sa force physique et psychologique, mais aussi et surtout sa générosité.
Et de conclure en disant haut, en disant ferme, la fierté d’avoir Élise à l’avant de son vélo.
Une fierté largement partagée quand résonnent les mots de sa pilote qui se demande parfois comment fait celle qui, plongée dans le noir, arrive à percevoir assez de lumière pour crayonner des arcs-en-ciel.
Alors, on comprend ici que le sport n’est qu’un prétexte.
Celui d’associer ses ressources, de redoubler d’intensité, de se faire la courte échelle pour, ensemble, atteindre le septième ciel.
NB : Les épreuves paralympiques de cyclisme sur piste se dérouleront du 29 août au 1er septembre au Vélodrome National de Saint-Quentin en Yvelines.
Celles qui concernent Anne-Sophie Centis et Élise Delzenne sont les suivantes :
- Dimanche 1er septembre : Poursuite individuelle 3000 m femmes B 11h26
- Mercredi 4 septembre : Contre-la-montre individuel femmes B 8h00
- Vendredi 6 septembre : Course sur route femmes B 9h30
Crédits photos : Stéphanie DIDIER SD Photos
Très bel article. Une belle et parfaite osmose entre un texte émouvant et des prises de vue splendides. L’alliance des deux met en valeur ce magnifique tandem. Merci Sandra et merci Stéphanie.
Merci beaucoup Anne-Sophie, d’avoir pris le temps de laisser cet adorable commentaire !