Objectif Corse - Le rab

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[Le rab. 1]

Aujourd’hui, on est le 1er septembre, les gars.
C’est le jour de la rentrée des classes.
Mais moi, je ne suis pas en classe.
J’ai envoyé ma lettre de démission courant août, j’ai attendu un retour, un courrier, un mail ou un appel.
Je voulais savoir si ma demande avait été entendue, si c’était bon, si je pouvais rentrer l’esprit léger.
Je n’ai rien eu. Rien du tout.
J’ai su que ma démission avait été acceptée quand une collègue m’a annoncé que mon poste avait été pourvu, quand j’ai voulu me connecter au serveur de l’Education Nationale et que mon identifiant a été rejeté.
Voilà, j’ai été radiée de la fonction publique sans autre forme de procès, dans le silence et dans l’indifférence.
Non, je ne m’attendais pas à des remerciements.
Non, je ne m’attendais pas à des bon vent, des bon courage ou des bonne continuation.
J’attendais juste d’être un minimum considérée pour que l’on ne me laisse pas macérer dans une attente inconfortable. J’ai eu encore assez de conscience professionnelle pour culpabiliser et me dire que je les foutais sans doute dans la panade avec cette lettre de fin d’été.
La vérité, les gars, c’est qu’on est juste des numéros.
Des petits pions, des remplisseurs de cases.
Et que, si à tout hasard, tu prends la poudre d’escampette et tu cours au sauve qui peut, il y aura juste un nouveau pion, un nouveau numéro dans la case que t’occupais.
Et du coup tu vois, je ne regrette pas du tout mon choix.
Parce que, quitte à être transparente dans un monde de remplissage, je préfère m’éclipser davantage et aller cueillir ma joie aux portes de ma liberté.
Dire que là maintenant, dire que là tout de suite, je me sens complètement libre serait te mentir un peu.
Je me sens surtout chanceuse d’échapper enfin au rythme quadrillé des heures d’école.
Et puis, je me sens un peu perdue, aussi. Treize ans que je marche au pas cadencé des vacances scolaires, les grandes et les petites, des dates qu’il faut souligner et des goûters échangés.
Alors, ne pas être rentrée quand sonne le mois de septembre, c’est un peu déstabilisant.
Mais j’avais envie de ça.
De ce coup de pied dans des habitudes ancrées depuis bien trop longtemps. Dans un train-train confortable mais ennuyeux et étouffant.
Je ne sais pas toi, mais moi, c’est quand tout bouge et quand tout s’éparpille que la magie opère et que je me sens vivante.
Là où d’autres peuvent y trouver une forme d’apaisement, la routine me meurt, elle m’endort, elle m’éteint.
Alors oui, c’est terrifiant, vertigineux.
De se retrouver à poil du jour au lendemain.
De sauter comme ça dans le vide, sans parachute et sans filet.
Mais, je crois que je préfère marcher sur la crête, les pieds en pointe qu’au fond d’une plaine, les pieds boulets.
(Tu te souviens, les gars, que je me lance dans la rédaction web dès que je rentre à Fontainebleau. Alors, si tu as besoin de contenu, tu me fais signe, ok ?)

[Le rab. 2]

Toulon, son port, sa surprise.
Je vais tout te raconter, les gars.
Mais je vais te raconter en décalé.
Depuis que j’ai quitté la Corse, depuis que j’ai posé le pied sur le continent.
Il s’est passé un paquet de trucs que j’avais besoin de vivre en vrai, de savourer, de digérer.
Je suis arrivée à Toulon au petit matin. Après une nuit de traversée.
Une nuit de pagaille humaine et de brouillard. Une nuit d’enfer.
J’ai cherché longtemps un endroit où me caler au milieu de tous ces gens qui dormaient à même le sol, j’ai manœuvré entre les premiers arrivés et les premiers servis. Des couples ou des familles qui, à l’affût de la meilleure place, avaient élu domicile dans les moindres recoins du bateau.
J’ai cherché longtemps, j’ai erré de long en large, sur tous les ponts, dans les couloirs et sous tous les escaliers.
J’ai fini par trouver une place, une toute petite, coincée entre une aire de jeu pour enfants et trois hublots, coincée entre des balles en plastiques colorées et les bagages d’une femme enceinte qui a cru bon de me remercier de ne pas perturber son sommeil.
Une drôle de traversée.
La douche froide d’après bain tiède.
Celle qui hérisse le poil et pointe le bas du dos. Une immersion douloureuse dans une sombre réalité.
Je suis arrivée à Toulon au petit matin et j’ai croisé Audrey.
La veille, on avait garé nos vélos au même endroit alors, quand il a été l’heure de débarquer, on a récupéré nos bicyclettes et on a échangé deux ou trois banalités.
Et puis, le temps de faire quelques mètres et de sortir du port, les yeux collés, le cheveu hirsute, la bouche pâteuse, on s’est trouvé des points communs.
Elle m’a dit, j’ai rencontré une fille sur le bateau, on va prendre un café, viens avec nous.
Il était six heures, le jour se levait à peine et moi je tentais de faire surface.
Je me suis accrochée à leur lumière et j’ai dit oui pour un petit déjeuner.
Elle m’a présenté Aurore, un petit bout de femme avec un sac accroché sur le dos.
C’était comme un heureux coup du sort de se retrouver là toutes les trois, chacune avec nos souvenirs.
On n’avait pas vécu la même Corse, on ne l’avait pas explorée ni goûtée de la même manière, mais on se traînait la même valise de nostalgie.
Trois, c’est le nombre pile idéal pour chasser les idées grises. Trois, c’est des sourires en relais qui vont chercher celui qui traîne, c’est l’enthousiasme qui revient et le rire qui resurgit.
On a dévalisé la première boulangerie ouverte, on avait l’énergie des gosses quand ils ne savent pas de quoi sera fait demain.
Une tasse de café fumant dans la main, Aurore a dit, chiche, on passe le week-end ensemble, je vous emmène découvrir Grasse et ses hauteurs.
On a réfléchi un peu, on a tourné l’idée quelques minutes, seulement le temps qu’il faut pour choisir de se laisser saisir. On s’est regardées, on a souri, on a dit chiche.
On a dit on est chiches.
Audrey a annulé son train pour Lyon, moi je n’ai rien annulé du tout parce que je n’avais rien de prévu et on est montées toutes les trois dans un TER en direction de Draguignan.
C’est excitant, les gars.
Ce moment où tu envoies tout balader pour saisir l’opportunité. Ce moment d’ici maintenant où tout bascule, où tu décides que demain sera jour de surprise.
Je n’en aurais pas été capable, il y a quelques années.
J’avais quadrillé ma vie.
Je l’avais anticipée.
J’avais tracé une ligne imaginaire qui ne supportait aucune sorte de déviation.
Et j’attendais sagement que les choses viennent à moi, j’attendais le bon moment. Celui de l’autre.
J’ai attendu jusqu’à ce qu’un jour, je meure d’ennui.
De cet ennui qui épuise et ravage tout.
J’ai mis du temps à comprendre que ça ne fonctionnait pas comme ça. Que ça ne pouvait pas fonctionner comme ça.
J’ai mis du temps à comprendre qu’en vérité tout arrive, à condition d’aller le chercher, que le bon moment c’est celui que tu choisis, qu’il n’existe que dans le mouvement et la prise de décision.
Que si tu ne retrousses pas un peu tes manches, le jeu n’a pas de chandelle.
Qu’oser faire un pas de côté c’est toujours plus grisant que de colorier sans dépasser.
On a pris un billet à la va-vite, on a enfourné nos vélos dans l’ascenseur pour rejoindre le quai du départ et on les a hissés tant bien que mal par la porte étroite du TER.
Une fois dans le train, on a pouffé de rire, de notre folie et de la tournure que prenait cette matinée.
Celle là et toutes celles qui allaient suivre.
À Draguignan, le grand-père d’Aurore est venu la chercher. Audrey et moi, on a laissé tous nos bagages dans sa voiture et on a rejoint Lorgues à vélo.
On a pris une douche, on a lavé quelques affaires et on a bu l’apéro avec les grands-parents d’Aurore.
Sa grand-mère nous a préparé à manger et j’aurais pu, les yeux fermés, croire que c’était la mienne qui demandait de terminer tomates et pommes dauphines.
Après le déjeuner, on s’est installées dans le jardin, Aurore a peaufiné le programme des jours suivants, moi, j’ai piqué du nez, allongée sur la balancelle et Audrey a attendu son amoureux.
Elle lui avait raconté l’imprévu, le coup d’audace qui chamboule tout et il s’est laissé embarquer.
Il a rassemblé de quoi découvrir le monde et il est monté dans sa voiture, bien décidé à nous rejoindre.

[Le rab. 3]

Une vallée, des merveilles.
Je suis rentrée, les gars.
Mais je n’ai pas fini de te raconter la route de mon retour.
Alors, avant de conclure et de dresser le bilan, je vais, si tu le permets, faire un peu durer le plaisir.
Je t’avais parlé d’Audrey et puis d’Aurore. Je t’avais dit Toulon et son petit-déjeuner surprise.
Tu peux reprendre là où on s’était arrêtés toi et moi.
Et revenir ensuite.
Tom, l’amoureux d’Audrey nous a rejointes alors qu’écrasées par la chaleur, on se remettait doucement de notre nuit en mer.
Il a bu un café, il a attendu que l’on soit prêtes. Et, quand ça a été le bon moment, on a dit merci beaucoup aux grands-parents d’Aurore et on a pris la route en direction de Grasse.
On a pris la route, sous un ciel mi-rosé, mi-orangé, colorié par un soleil en robe de chambre à deux étages d’aller se coucher.
Aurore a mis de la musique d’ailleurs que j’ai trouvée très belle et on a un peu parlé de la vie et de la mort aussi.
Elle a conduit notre équipage dans un endroit tranquille, on a grignoté quelques trucs et puis chacun chez soi, Aurore et moi dans le camping-car, Audrey et Tom dans la tente du toit de leur voiture, on a fermé les yeux sur cette journée qui aurait pu en compter mille.
Le lendemain, après le petit déjeuner, on a repris la route, cap sur une vallée pleine de merveilles à la frontière de l’Italie.
On a traversé des villages de vallées qui semblaient avoir pris les mêmes couleurs que leurs voisins.
Des maisons aux couleurs vives un peu passées avec du linge qui sèche aux fenêtres et des femmes accoudées sur le rebord.
On a serpenté sur des routes un peu trop pentues pour le vieux camping-car d’Aurore et puis on est arrivés au commencement de notre journée.
On a mis de quoi manger, un peu d’eau, une lampe frontale dans des petits sacs à dos et Aurore m’a prêté des chaussures de randonnée.
C’est marrant tu vois, d’ordinaire, ça aurait été toute une expédition de prévoir ce genre de balade, toute une organisation, préparer un vrai pique-nique, s’assurer d’avoir du matériel qui tient la route, un sac confortable, un coupe vent et peut-être même des bâtons.
Là, on a fait avec les moyens du bord, un sac en toile à deux euros chez Décathlon, des sachets de riz tout préparé, quelques biscuits, une banane et des chaussures trouées.
Mais quelle balade, les gars.
Quelle balade. T’imagines pas.
Des gravures rupestres sur des rochers et des pierres aux couleurs de l’arc-en-ciel.
De l’indigo partout, des roches turquoises et même oranges sous un ciel tantôt bleu, et parfois gris.
On aurait dit un paysage brouillonné par des fées. La palette d’un peintre magicien qui aurait décidé de foutre du contraste sur un bouquet final.
On a marché jusqu’à un mur gravé par les années, on a cherché longtemps un roi et sa couronne, un bateau dessiné avec des traits d’enfants. On a collé nos yeux sur la roche à s’en faire décoller la rétine, on a parié à celui qui le premier mettrait le doigt dessus.
Un jeu de gosses auxquels on aurait promis un trésor.
Et puis le froid et la nuit sont venus s’en mêler et on a dû rebrousser chemin.
On a regagné les voitures à la lumière de nos lampes que l’on a collées sur nos fronts et tout est redevenu mystère.
On s’est calés serrés à l’intérieur du camping-car, on a mangé ce qui restait de fromage et on a bu du vin rouge dans des gobelets en plastique. On a ri beaucoup, de cette journée passée et de celle qui allait venir, on avait toutes les trois eu besoin de ce sas de décompression qui marquait la fin de la Corse et le début de la suite.
Tom, c’était la cerise sur notre gâteau.
L’unique témoin de notre moment présent, celui qui te pince le bras pour t’assurer que tu ne rêves pas, le garant de cette rencontre de l’improbable.
On avait eu besoin toutes les trois de s’assurer que des merveilles, il y en avait partout ailleurs et que la joie pouvait être au bout de n’importe quel chemin.

[Le rab. 4]

Temazcal et cuisine crue
Et puis le dernier jour, il y a eu le festival du Colibri.
Ça m’a plu ce petit nom de petit oiseau et la description qu’Aurore nous en a lue.
On a été d’accord, tous les quatre, pour découvrir et bousculer.
On est arrivés à Sospel pile à l’heure pour une séance de méditation collective. Une heure à se laisser bercer par une voix d’homme, une voix grave, posée et envoûtante, une heure à laisser passer des milliers de pensées sans essayer de les retenir.
C’était la toute première édition de ce petit festival fait maison et les gens avaient l’air contents de se retrouver.
On se serait cru en famille, dans le jardin d’un ami, dans le fond d’une bulle qui aurait oublié le temps.
Je n’ai pas réussi à me frotter aux autres ce jour là, les gars.
Je crois que j’accusais un très gros coup de fatigue, fait de plusieurs semaines à vélo, d’ouragans émotionnels et de nuits entrecoupées.
Je me suis laissée avaler par un des canapés en cuir posés au bord de la rivière. J’ai tenté de garder la tête debout, j’ai lutté et puis plusieurs fois, je me suis assoupie.
Dans mes moments d’éveil, j’ai observé autour de moi.
J’adore faire ça.
J’aime regarder les corps se déplacer, les bras qui s’entrelacent et les sourires naissants.
Je m’imagine des tas d’histoires derrière une mèche de cheveux qui s’affole, un rire qui éclate ou des lèvres aux yeux mi-clos.
La plupart des gens étaient pieds nus et l’âme à l’air, ils étaient venus chercher du sens et reprendre contact avec la terre.
Ils avaient déposé leurs lourdeurs à côté de leurs chaussures et marchaient en équilibre au milieu d´heures suspendues.
La journée est passée doucement comme un chat qui s’étire quand il n’est pressé de rien.
Et puis, le moment que l’on attendait tous est arrivé, le rituel sacré qui faisait chuchoter derrière les arbres ou devant une tasse de thé.
Les voix se sont relayées pour annoncer que la cérémonie du Temazcal allait bientôt commencer. Alors, par vaguelettes ou par marées, on a pris place autour du feu. Des hommes aux torses nus et aux chants qui voyagent ont fait chauffer des pierres au milieu de notre cercle.
Quand elles ont été assez chaudes pour purifier nos corps et fortifier nos cœurs, on est entrés, les uns après les autres, dans une petite hutte recouverte de couvertures.
On s’est assis à même la terre, épaule contre épaule, souffle coupé contre bouffée d’espoir.
La porte s’est refermée sur notre renaissance et le maître de cérémonie a fait chanter les pierres.
On a fermé les yeux pour mieux voir en dedans et oublier la chaleur étouffante qui nous brûlait la peau.
Au moment d’ouvrir la porte une deuxième fois, pour faire rentrer de nouvelles pierres, j’ai préféré sortir de la hutte et faire place nette à ceux qui avaient engagé leur voix et leurs prières.
Je n’étais renée qu’à moitié mais c’était suffisant pour une toute première fois au cœur du ventre de la terre.
Le jour a commencé à décliner, emportant avec lui les secrets de ces hommes et de ces femmes qui étaient venus mettre leurs armes au repos.
Audrey est sortie après moi, puis ça a été le tour de Tom et enfin celui d’Aurore.
On a regagné les voitures, un peu groggys, un peu sonnés par cette nouvelle expérience que l’on venait de partager. Une tradition qui ne nous appartenait pas mais au sein de laquelle chacun pouvait trouver un bout de ce qu’il avait un jour, par mégarde, oubli ou convoitise, égaré.

[Le rab. 5]

Géologie, fascination et grottes cachées.
Et puis, il a fallu se dire au revoir.
Parce qu’on ne peut pas empêcher la vie de reprendre son cours.
Pour cette dernière nuit ensemble, on a posé les voitures sur le plateau de Caussols.
On y est arrivés de nuit et, à part les milliers d’étoiles qui trônaient au-dessus de nos têtes, on n’a pas vu grand chose de la magie autour de nous. C’est au matin, lorsque l’on a ouvert les yeux et la porte du camping-car, que l’on s’est rendu compte de la beauté du lieu.
Un paysage sauvage qui surplombait la ville, qui surplombait la mer et un bout de notre futur.
On a pris un dernier petit-déjeuner, les pieds plantés dans de la poésie et Aurore nous a emmenés voir une dernière petite curiosité dont elle seule a le secret.
De petites grottes enfouies sous une prairie sauvage.
On s’y est faufilés, en robe et en claquettes, suivant à la lettre les recommandations de notre guide aux cheveux libres. Spéléologues d’un jour, elle avait fait de nous, le temps d’une heure ou deux, des aventuriers en culottes courtes, des enfants aux joues rosies et à la curiosité en bretelles.
Tu sais, on a tous un domaine d’expertise, un truc pour lequel on est doué.
Et bien Aurore, tu vois, je crois que c’est ça, son don : partageuse de merveilles et ouvreuse d’yeux en écarquille.
On a traîné savate pour retourner au camping-car, on s’est lancé deux ou trois vannes pour dédramatiser les au revoir qui nous y attendaient. Un monsieur, qui était venu prendre en photo les oiseaux, nous a capturés nous, à l’intérieur du téléphone de Tom.
L’ultime photo de ce week-end improbable durant lequel on avait mêlé nos vies, nos rires et nos travers.
On s’est tous embrassés, on s’est serrés dans les bras et puis on s’est quittés sans tristesse. On s’est quittés avec le sourire de ceux qui savent la chance qu’ils ont eue de se rencontrer.
On a repris la route, chacun de notre côté, on a rattrapé le fil de nos vies et celui de nos envies. Malgré la nostalgie des moments passés trop vite, j’ai été contente de retrouver la liberté d’air de mon vélo et son déplacement lent.
À Comps-sur-Artuby, j’ai eu le choix.
Je pouvais redescendre vers Draguignan comme j’avais prévu de le faire ou suivre les gorges du Verdon.
Je me suis dit que c’était quand même un peu couillon d’être si à côté et de ne pas se payer le coup d’œil alors j’ai dit va pour les gorges.
La beauté les gars, t’imagines pas.
C’était encore plus beau que dans mes souvenirs.
C’était encore plus beau parce que cette fois, j’avais décidé seule et puis parce que c’est toujours mieux la deuxième fois.
J’ai savouré ma chance d’être là, seule au milieu d’une nature qui se faisait miracle et j’ai suivi la rivière jusqu’au lac de Sainte Croix.
Je suis arrivée à Aiguines sur les coups de dix-neuf heures et j’ai cherché un camping. Le seul que j’ai trouvé affichait 25 euros la nuit, un prix qui m’a piqué le nez et dressé mes cheveux.
Je me suis dit, Sandra, deux solutions, soit tu cautionnes un tarif comme celui-là et tu acceptes d’être prise pour un jambon, soit tu trouves une autre solution. Je n’avais plus vraiment la force d’avancer alors j’ai saisi mon courage du bout de mes vingt doigts, j’ai glissé ma trouille au fond de mes chaussettes et j’ai décidé de bivouaquer.
Pour la première fois du voyage j’étais enfin prête à cueillir le sauvage et l’Aventure.
La vraie, celle qui s’écrit avec une lettre majuscule, celle qui ne s’accommode d’aucune entrave.
Celle qui fait sauter la dernière chevillette, celle qui fait choir la bobinette.

[Le rab. 6]

[Le rab. 7]
Poésie sur fond de robe.
J’ai repris la route ce matin là, regonflée. Replumée.
Forte comme un coq.
J’ai visé la lune pour la fin de la journée, j’ai visé Lançon de Provence et la maison de Samuel.
J’ai fait un crochet par Moustiers parce que Clio m’avait dit que c’était vraiment joli. Elle y avait passé quelques jours au début de l’été et elle m’a dit si tu peux, faut que tu ailles voir.
J’ai mis pied à terre et j’ai déambulé dans ce village de livre d’enfants. J’ai dessiné un petit tour aux allures d’alexandrins qui dévoilait des merveilles à chacun de mes douze pas.
Et puis, il y a eu cette boutique aux robes imbibées de couleurs, celles qui sentent bon l’été ou les vacances et je n’ai pas su résister.
J’ai été faible, les gars, je reconnais.
J’ai posé mon vélo contre un mur et je suis rentrée à l’intérieur.
C’était étrange de me retrouver là, à rêver d’une robe à fleurs alors que je ne m’étais pas douchée depuis quelques jours déjà.
Ça dénotait, tu vois.
Je suis tombée sur la vendeuse la plus gentille de l’univers. Elle a tenu mon reflet entre ses bras pendant que j’hésitais sur la couleur et la taille des pétales.
Elle a dit attends, viens te mettre dans la lumière, au soleil on voit plus clair.
Et c’est vrai que d’un coup ça a été une évidence.
J’ai choisi la bleue violette parce que c’est celle qui me comprenait le mieux.
J’ai pensé tant pis pour le manque de place, tant pis pour la folie.
Après ça, j’ai dit, ça suffit les conneries et j’ai roulé tout droit jusqu’à Lançon.
J’ai avalé de la ligne droite à en frôler l’indigestion.
J’avais oublié le vent de ce sud de la France, j’étais passée à autre chose.
J’ai revu les noms des villes que j’avais traversées après avoir quitté Lucas et j’ai senti la nostalgie comprimer l’artichaut dans ma poitrine.
Samuel m’avait dit, si je ne suis pas rentré du travail, pousse le portail, il est ouvert. J’ai poussé le portail et j’ai eu l’impression de rentrer à la maison.
Mon corps connaissait déjà les lieux, il était débarrassé de ce rituel de repères à baliser quand tu t’immerges dans l’inconnu.
La maison de Samuel a reconnu mon téléphone, le wifi s’est installé dessus comme on glisserait ses pieds dans des charentaises laissées au coin du feu.
Il est arrivé peu de temps après et, sans préambule, on s’est mis à se raconter le mois passé.
J’ai installé mes affaires dans la chambre du fond comme je l’avais fait la première fois. J’ai repris mes appartements, je me suis sentie chez moi.
On a commandé des pizzas, on s’est servi des verres de vin.
J’ai déroulé ma bobine à histoires, les toutes petites et les grandes importantes, les histoires de Corse et celles du pied ferme sur le continent.
Il a tout écouté de la première jusqu’à la dernière miette, il n’en a pas laissé une goutte.
Nous deux, c’était parti d’un message bouteille de mer au milieu d’un océan virtuel. Mais en moins de quelques mois, c’était devenu port de plaisance, sémaphore et terre d’ancrage.
Plus tard, un peu plus tard j’ai murmuré, Samuel, c’est marrant, je crois que toi et moi, c’est comme si on s’était toujours connu.

[Le rab. 7]

Poésie sur fond de robe.
J’ai repris la route ce matin là, regonflée. Replumée.
Forte comme un coq.
J’ai visé la lune pour la fin de la journée, j’ai visé Lançon de Provence et la maison de Samuel.
J’ai fait un crochet par Moustiers parce que Clio m’avait dit que c’était vraiment joli. Elle y avait passé quelques jours au début de l’été et elle m’a dit si tu peux, faut que tu ailles voir.
J’ai mis pied à terre et j’ai déambulé dans ce village de livre d’enfants. J’ai dessiné un petit tour aux allures d’alexandrins qui dévoilait des merveilles à chacun de mes douze pas.
Et puis, il y a eu cette boutique aux robes imbibées de couleurs, celles qui sentent bon l’été ou les vacances et je n’ai pas su résister.
J’ai été faible, les gars, je reconnais.
J’ai posé mon vélo contre un mur et je suis rentrée à l’intérieur.
C’était étrange de me retrouver là, à rêver d’une robe à fleurs alors que je ne m’étais pas douchée depuis quelques jours déjà.
Ça dénotait, tu vois.
Je suis tombée sur la vendeuse la plus gentille de l’univers. Elle a tenu mon reflet entre ses bras pendant que j’hésitais sur la couleur et la taille des pétales.
Elle a dit attends, viens te mettre dans la lumière, au soleil on voit plus clair.
Et c’est vrai que d’un coup ça a été une évidence.
J’ai choisi la bleue violette parce que c’est celle qui me comprenait le mieux.
J’ai pensé tant pis pour le manque de place, tant pis pour la folie.
Après ça, j’ai dit, ça suffit les conneries et j’ai roulé tout droit jusqu’à Lançon.
J’ai avalé de la ligne droite à en frôler l’indigestion.
J’avais oublié le vent de ce sud de la France, j’étais passée à autre chose.
J’ai revu les noms des villes que j’avais traversées après avoir quitté Lucas et j’ai senti la nostalgie comprimer l’artichaut dans ma poitrine.
Samuel m’avait dit, si je ne suis pas rentré du travail, pousse le portail, il est ouvert. J’ai poussé le portail et j’ai eu l’impression de rentrer à la maison.
Mon corps connaissait déjà les lieux, il était débarrassé de ce rituel de repères à baliser quand tu t’immerges dans l’inconnu.
La maison de Samuel a reconnu mon téléphone, le wifi s’est installé dessus comme on glisserait ses pieds dans des charentaises laissées au coin du feu.
Il est arrivé peu de temps après et, sans préambule, on s’est mis à se raconter le mois passé.
J’ai installé mes affaires dans la chambre du fond comme je l’avais fait la première fois. J’ai repris mes appartements, je me suis sentie chez moi.
On a commandé des pizzas, on s’est servi des verres de vin.
J’ai déroulé ma bobine à histoires, les toutes petites et les grandes importantes, les histoires de Corse et celles du pied ferme sur le continent.
Il a tout écouté de la première jusqu’à la dernière miette, il n’en a pas laissé une goutte.
Nous deux, c’était parti d’un message bouteille de mer au milieu d’un océan virtuel. Mais en moins de quelques mois, c’était devenu port de plaisance, sémaphore et terre d’ancrage.
Plus tard, un peu plus tard j’ai murmuré, Samuel, c’est marrant, je crois que toi et moi, c’est comme si on s’était toujours connu.

The End